Les Mêmes Goûts (2017)

Pochette des Mêmes Goûts le 5è album de Mathieu Pirró
Les mêmes goûts

L’homme de foi ou l’humaniste
Me demandait en quoi tu crois
Nul ne peut vivre et nul n’existe
Sans un principe sans une foi
Nous croyons tous en la justice
La paix l’amour etc…
Avant que mes paupières ne plissent
Je le coupais oui mais voilà
Nous n’avons pas les mêmes goûts

Les convaincus me pompent l’air
Tous les boy-scouts à idéaux
Ne savent pas combien d’enfers
Ils ont pavé salut bigots
Salut croyants et militants
Je sais qu’au fond on est semblable
On passe le plus clair de son temps
À se rendre la vie supportable
Sauf qu’on n’a pas les mêmes goûts

La paix est une respiration
Entre deux guerres deux jalousies
Qui dure heureuse suspension
Le temps de recharger le fusil
Quand à l’amour n’en parlons pas
Ou bien trouvons un autre mot
Mesdames est-ce de ma faute à moi
Si le phallus vous fait défaut
On n’aura pas les mêmes goûts

Ne croire en rien c’est du boulot
Le désespoir c’est du talent
C’est une éthique merci Léo
Je l’ai compris avec le temps
Le désespoir précieux dédale
Oú n’entrent pas les convictions
C’est trop grégaire trop animal
Ça ne passe pas le portillon
On n’aura pas les mêmes goûts

Les héros sont des gens discrets
Qui donnent silencieusement
Leur vie pour qu’on puisse se marrer
Pour un dessin le prix du sang
Blasphaimez vous les uns les autres
Puis après foutez moi l’athée
Comme le disait le pitre apôtre
Quand sur la piste ils l’ont buté

On ne rit pas des choses là
Ben si on rit et tralAllah
Dans la Moïse on Jésus Christ
Dans le désert et dans la vie
Quand on n’a pas les mêmes goûts
Quand on n’a pas les mêmes goûts

Les coquelets

Le jour du sud a la texture
Du miel diffus des gorges heureuses
Je m’y perdrais le temps que durent
Les saisons de l’astre amoureuses
Voilà un banc square automnal
Me vient la brise le souffle au cœur
Pour aider la jeune fille pâle
Qui berce sa petite sœur

Pendant ce temps les coquelets
Font des concours de friandises
On leur a dit virilité
Ça s’écrit s-o-tt-ise

Adieu matin on fait le deuil
De sa jeunesse en location
Salut midi salaud tu cueilles
Comme à la faux mon horizon
Mais qu’elle est belle la charnière
On l’aimerait jusqu’à la mort
Cet âge au milieu de la mer
Tu sais déjà tu peux encore

Pendant ce temps les coquelets
Se vérifient la friandise
Ça leur prend tout le cervelet
Pour mener à bien l’entreprise

Le vent du soir nous est précieux
Et sa chanson est consolante
Qui fait le timide audacieux
Demain je parle demain je tente
Sous ton masque de société
Quand tu déposes ta grande gueule
Je chante pour celui que tu es
Quand tu es nu quand tu es seul

Pendant ce temps les coquelets
Se courent après la friandise
On leur dit virilité
Alors ils courent et ils s’épuisent
Dans leurs bagnoles sous leurs haltères
Tant bien que mâles combler le vide
Jour après jour faire et refaire
Mille tonneaux de danaïdes

La cruauté des roses

J’vois bien que tu vas mal
T’as le sourire en cendres
Au goulot du canal
Tu boirais tout novembre

Tu dors lampe éclairée
Mais le visage éteint
Où vont tes yeux fermés
Quand tu ne dors pas bien

Je vais pas te promettre
Son retour pour midi
Je sais ni Dieu ni maître
Et puis chacun sa nuit
Et chacun ses fantômes
Du berceau au linceul
Ça n’est jamais en somme
Que l’on peut dormir seul

On couche avec des ombres
Nulle fierté au pieu
Ce coma où l’on sombre
Nous fait baisser les yeux

Depuis combien de temps
T’as le cœur à l’amende
Et les yeux du mendiant
Tu attends qu’on t’attende

Je sais tu t’en sors pas
Tu te noies dans ta Leffe
Elle ne reviendra pas
Tu ne t’appelles pas Jeff

Je ne suis pas Jacques Brel
Mais je peux faire une chose
Pour que tu oublies un peu
La cruauté des roses
Elle se fout bien de toi
Au bout de ton chagrin
L’amour n’existe pas
Mais sans lui tu n’es rien

Rien qu’une gueule de bois
Pissant des infortunes
Allez viens on s’en va
Je vais t’en chanter une

Belle et intelligente

Je veux une femme belle et puis intelligente
Belle et puis intelligente
Mais dans cet ordre là
Je veux une femme belle et puis intelligente
Belle et puis intelligente
Et qui ne vieillit pas

Je vous choque pourtant
Ce que veulent les hommes
C’est bien ce que j’attends
Vraiment ça vous débecte
Je n’ai pas le désir
Politiquement correct
L’avez-vous sans mentir

Je veux une femme belle et puis intelligente
Belle et puis intelligente
Et qu’on regardera
Je veux une femme belle est-ce dur à comprendre
Belle et puis intelligente
Je n’ le répéterai pas

Phallocrate sans cœur
Machiste nazillon
Que nenni belles sœurs
Mais je soutiens pardon
Qu’il faut considérer
Les formes et puis le fond

Je veux une femme belle et puis  intelligente
Belle et si intelligente
Que ça l’embellira

Itinéraires

Au son du canon j’ai marché
Par le canon j’entends le chant
Je rêve de lointains foyers
Et puis d’exil à bout portant
À la fiesta je fais la gueule
Hors des manifs je reste au loin
Je nous préfère quand on est seul
On est moins con quand est moins

J’aime que mes chansons insultent
L’insulte faite à l’enfance
En nous comédie des adultes
En joue les mômes bonjour potence
Quand fossoyeurs de nos étoiles
Il pleut du fond de nos poumons
Ce crachin rouge sang et sale
Comme la boue suant au front

L’avenir oui je m’en souviens
Il espérait de tes yeux clairs
Qui disait je ne sais plus bien
Que le bonheur est un éclair
Avant l’orage, les écrits sèment
Ils de la mémoire dans le vent
Si je répète que je t’aime
Est-ce la parole d’un absent

Vous mes soleils en solitude
Vous mes compagnons du refus
Longtemps j’ai dansé votre étude
J’aime toujours votre raffut
Si je suis né loin de chez moi
C’était pour vers  vous revenir
Ah! Pouvoir dire après combat
J’ai tant aimé je peux mourir

 

Quand tu ne reviendras pas

Tu auras frotté tes yeux
A bien des horizons
Des aurores à floraisons
Dans les matins silencieux
Et des soirs à se damner
Pour rire ou bien pour pleurer
Pour se taire et puis apprendre
Ce que je n’apprendrai pas
Que je ne pourrai comprendre
Quand tu ne reviendras pas

Tu auras pris un accent
Comme un goût des antipodes
Le mien n’est plus à la mode
Au pays de tes vingt ans
Ce pays que tu arpentes
Pour t’y inventer une âme
Et y parler un langage
Que ton cœur savait déjà
Que je ne saurai comprendre
Quand tu ne reviendras pas

Il faut un jour se méfier
De nos racines profondes
Car nos racines nous parquent
Qui a vu tous les couchers
De soleil de par le monde
A plus d’un ciel à son arc

Regarde le notre enfant
Arrêté dans sa course
Dans le néant de mes bourses
Et le désert de ton ventre
Nulle part il ne rentre
Nulle part il n’existera
Une idée sans avenir
Qui ne dira pas maman
En t’envoyant revenir
Quand tu ne reviendras pas

On peut faire sur le papier
Un voyage de mappemonde
Mais nul n’y trouve sa marque
Qui a vu tous les couchers
De soleil de par le monde
A plus d’un ciel à son arc

Je n’ai qu’un ciel et dans le parc
Je m’étends sur l’herbe docile
Je m’y invente un exil
Tu es soleil et tu es l’onde
Tu es la voix et le secret
Tu es cette ombre imaginée
Qui me dit je reviens
A l’heure où je m’endors
Pourquoi est-ce que j’entends
Je reviens je t’aime encore

Je n’irai pas courir tes cieux
Au rythme lent des saisons
Ils auront donc eu raison
Ceux qui disaient sentencieux
Celui qui écrit ne vit pas
Mais désormais que t’importe
Un peu plus loin et plus forte
En cet ailleurs venu te prendre
Que je ne pourrai comprendre
Quand tu ne reviendras pas

La bienfaitrice

Nous nous croisons et tu prends soin bien sûr
De me snober de m’ignorer c’est dur
C’est dur mais guère surprenant ah non
Tu en ignores tellement que bon
Ignorante à ce qu’il me semble
Te sert de deuxième prénom
Ignorante pas ingénue mais qui
D’ores et déjà ne t’as connu hormis
Ce bon vieux pape à la retraite
Pleurant du fond de sa braguette
Les pêchés qu’il n’a pas commis

Mais du pontife ne désespérons pas
Gageons que bientôt le saint père viendra
Te visiter le magistère
Prosterné un genou à terre
Il chantera fort les mystères
De ta divine académie

V’là qu’on s’ recroise tu me toises et il faut
Que tu me prennes ça m’fait d’la peine de haut
Du haut d’un mètre cinquante huit pardon
C’est peu crédible c’est mon opinion
Mais ton visage est un chef-d’œuvre
Rien ne me fera l’oublier
Tandis qu’à ton bras se promène
L’étalon du mois de la semaine
Le sicilien est de saison
Car l’Italie c’est bien ta veine
A un incroyable étalon

Pourtant Dieu sait que j’aimais tout en toi
Jusqu’à ta particule qui parfois
L’emportait sur ta partie tête
Question d’équilibre peut-être
L’angle de vue laissant paraître
Mal le tréfonds de tes pensées

Ta literie d’utilité publique
Mérite les honneurs de la république
Tant de mâles tu accueillis dans ton
Lit qu’on te loue comme le vieux Danton
Ta couche rentre dans l’histoire
Ton lit est un lit de roman
S’il eût connu la bienfaitrice
Dante eut renommé Béatrice
Le fou d’Elsa dans ses tourments (eût)
Bu à la source inspiratrice
Des films érotiques d’antan

Pour tant de plaisir grâce on te rendra
Le Panthéon  t’ouvrira grand les bras
Plaisir rendu à la nation
Soleil étoiles rougiront
Puis on verra sur l’horizon
Les arc en ciel bander pour toi

Les ailes et puis le plomb

Silence des guerres au fond de nos yeux
Oracles innervés dans les glaces
Lentes litanies et démons précieux
Industrie d’une plume vorace
Territoires minés de l’intime
Utérus d’où jaillissent des chansons
Dialogue du sang et de la rime
Ensemble les ailes et puis le plomb

Je n'ai plus vingt ans

Je n’ai plus vingt ans paraît-il
Sûrement un truc manigancé
Ces bruits d’horloge c’est bien le style
D’un complot du calendrier
Même si de plus en plus souvent
Je cherche ma gueule d’avant hier
Au fond d’un miroir contrariant
Qui ne sait rien des bonnes manières

Je n’ai plus vingt ans v’là autre chose
Je souscris peu à cette idée
Et après quoi ? La ménopause
Plus rien ne saurait m’étonner
Quand on est jeune un moment
On prend de mauvaises habitudes
J’étais chez moi dans le présent
Ce présent qui n’est que prélude

Je n’ai plus vingt ans oui c’est vrai
C’est ma copine qui les a
Enfin plutôt qui les avait
D’un bon ami elle prit le bras
Et du meilleur tant qu’à bien faire
Non aucun grief à son endroit
Lui en vouloir mais pourquoi faire
L’âne de braire a bien le droit

Plus vingt ans moi mais c’est tout vu
Des rumeurs des ragots des jaloux des bobards
Moi j’aurais moi vingt ans de plus
Au compteur aux contours au comptoir racontars

Je n’ai plus vingt ans c’est tant mieux
Et mon ami c’est Paul Nizan
Pourquoi il nous dit ça le vieux
Et bien cherchez jeunes ignorants
Je vois des signes inquiétants
Il y a des ministres de mon âge
Faut se tirer tant qu’il temps
Vieillir est un mauvais présage

Alors à tantôt dans longtemps
On s’appelle on s’fait un naufrage

Mes mauvaises pensées

Je ne veux pas dire de mal
De toi mais comment nier
Tu n’as aucune manière
Il faut le constater
Le matin dans mes yeux
Tu fous de l’eau partout
Et occupes des lieux
Dont tu as mis les bouts

C’est pas que je m’ennuie
De toi mais je m’absente
Comme de ma propre vie
Qui aurait pris la tangente
Et qui t’aurait suivie
En me laissant sur place
L’enveloppe est ici
Il reste la carcasse

Y a plus la foutue molécule
Qui poussait la machine

Je rejoue nos ébats
Dans un lit famélique
Quelqu’un d’autre voudra
Te donner la réplique
Un fessier de ce rang
D’un si brillant éclat
Ne saurait très longtemps
Demeurer sans emploi

Faudrait pas que ton monticule
Manquât de visiteurs

J’arrête là mon char
Et puis tu me connais
J’ai le chagrin vachard
Et puis je te connais
Tu sais être indulgente
Et voudras pardonner
Mon fiel et mes gueulantes
Mes mauvaises pensées

Ce salaud le printemps
Vient t’offrir l’âme sœur
Et mieux qu’un concurrent
J’ai donc un successeur
Alors si j’comprends bien
Tous nos projets de vie
Nos envies de gamins
Et Rennes sous la pluie
Tout ça là on annule
Et on en reste là

Et merde à ton jules
Et merde à ton jules

Rétrovisions (2014)

Pochette de Rétrovisions le 4è album de Mathieu Pirró
Rétrovision back

Sur les récifs de mon visage

Sur les récifs de mon visage
S’échouent vos sourires faut croire
Que j’ai la gueule du Cerbère
Et c’est encore la peur à boire
Allez salut belle étrangère

Je porte en moi des marécages
Des gouffres sous les cordes raides
Je serai fichu d’y sombrer
Sans même appeler à l’aide
J’en sais plus d’une qui m’a sauvé

Voilà qu’au travers des nuages
Un chœur d’ailes bat le tempo
Y a-t-il jamais eu de victoire
Plus nette que celle des oiseaux
Ta main a perdu ma mémoire

Et quand la ville pleure d’orage
L’averse de saison mentale
Nous met d’accord nous partageons
Le regret de n’être qu’escale
Et non port ou destination

Je lis dans tous les paysages
La clause noire la fin certaine
Qui dit naissance dit péremption
Je veux des filles aux gorges pleines
Pour voyager en rémission

Nous n’irons plus flâner au large
Ils l’ont barbelé de prudence
C’est quoi ces dieux que l’on vénère
Gloire aux putains à leur conscience
Que quelque chose de la chair
Restera toujours hors la loi

La quarantaine

Sur ta gueule de vieil enfant
Le temps perçoit la gabelle
Allez c’n’est pas bien méchant
Ces rides-là te sont belles
Ça creuse un visage d’homme
À la gouge ça fait comme
Qui dirait une dégaine
La quarantaine
Qui dirait une dégaine
La quarantaine

De bonne grâce tu prends de l’âge
Mais les conneries qu’on serine
La vie commence à quarante pages
Tu marches pas dans ces combines
Genre joyeux anniversaire
Celle-là faut plus te la faire
Qu’on t’épargne la rengaine
La quarantaine
Qu’on t’épargne la rengaine
La quarantaine

L’amour ça ne dure pas
Ça n’est pas fait pour durer
C’est fait pour se reproduire
Qu’on vienne pas, qu’on vienne pas te la raconter
Ni garrot sur l’hémorragie
De ta jeunesse qui saigne
La quarantaine
De ta jeunesse qui saigne
La quarantaine

L’enfant que tu n’as pas eu
A dû vieillir dans ta tête
La vie dont tu aurais voulue
Elle se rêvait à tue-tête
Nos rêveries de saison
Parties se faire une raison
Nous reviennent en bedaine
La quarantaine
Et leur poids nous fait bedaine
La quarantaine

Garde moi jusqu’à demain
Avec toi j’attends aussi
Ces nouvelles du lointain
Qui me disent, qui me disent qui je suis
Si c’est toi qui les amène
La quarantaine
Alors viens que je te prenne
Dans mes bras la quarantaine
Alors viens que je te prenne
Dans mes bras la quarantaine

Cet enfant que je fus

J’ai voulu retrouver
Cet enfant que je fus
Pour savoir qui était
Qui j’étais devenu
J’ai trouvé le jardin
Ce berceau de bois vert
Y jouait un gamin
Peut-être imaginaire

Il inventait ses jeux
Comme on lit un nuage
Notre enfance est un lieu
Avant que d’être un âge
Je fus déjà heureux
Qu’il me reconnaisse
Je ressemblais encore
Un peu à ma jeunesse

Son regard sans pardon
Qui se posa sur moi
Eut pour seules questions
Et qu’as-tu fais de moi ?
Qu’as-tu fais de ma vie ?
Quelques années plus loin
Qui es-tu aujourd’hui ?
Toi qui as vécu demain

Moi j’écris pour le vent
Qui arrache des secondes
A la gueule du temps
Qui fera de moi une ombre
Jusqu’au dernier printemps
Que reste auprès de moi
La mère d’un enfant
Qui te ressemblera

J’avoue je voulais lui
Éviter des misères
Il me dit  « T’es gentil
Mais tu n’es pas mon père »
Tirant ma révérence
Je savais en l’embrassant
Que seule notre enfance
Peut narguer le cadran

J’ai voulu retrouver
Cet enfant que je fus
Pour savoir qui était
Qui j’étais devenu

L’autre part des anges

Au soleil naissant s’évaporent
Des larmes en chemin vers le ciel
Où des nimbus multicolores
Semblent se charger de leur sel

Puis une pluie de caractère
Vient relever le plat pays
C’est con je sais mais considère
Qu’ils sont en moi quand je t’écris

Ferré Brassens Allain Leprest
Brel à la barre dans la houle
Sur mon bateau Le manifeste
Parti du port de Liverpool

Naissant soleil dis qu’entends-tu
Jeune lumière ou né dans le noir
Les deux pour moi c’est entendu
Nul ne renaît sans désespoir

L’eau de nos yeux se recueille-t-elle
Comme à la source minérale
Pour se faire mettre en bouteille
À qui profite lacrymal

Le cœur retourne se foutre à l’eau
Après la fin de la vidange
Il reste quoi de nos sanglots
Peut-être une autre part des anges

Avec ou sans toi
Quand je serai grand
Je serai jeune
Un jour tu verras
Quand je serai grand
Je serai jeune

Je suis épuisé de moi-même
Alors j’écris pour m’oublier
Je persiste et puis je saigne
J’ai la blessure obstinée

Et je ne sais pas si ça vaut
Le coup encore de remuer
Toujours le même vieux couteau
Dans la même (elle me) plaie

L’art de vivre dont tu mourras
C’est le remède et le poison
Ton ADN et puis ta croix
Privilège et malédiction

Les yeux du Caravage

Elle coiffait de son sourire
Quelques rombières permanentées
Je regrettais derrière la vitre
Voyant ses bras nus et son dos
De ne point m’appeler Brigitte
Des bigoudis plein le cerveau

Un Caravage en cavale
Semblait réfugié dans ses yeux
Gris verts beaux un vrai scandale
Auquel répondait en écho
Le volcan carmin de sa bouche
Comme un orage parle au ruisseau

L’ai-je abordée un jour possible
Je ne sais plus si je m’en souviens
Je crois que oui l’espèce cible
Dans le décor de nos passions
Son but sa perpétuation
Et pour le reste ça ira bien

Je m’ouvre à toi vais je trouver
L’intelligence de ces femmes
Qu’ hélas on peut évaluer
À l’intensité du mépris
Qu’elles ont pour l’homme pendant que lui
Bande sans rien piger au drame

Dis-moi avec qui marches-tu
Aux heures où tu marches seule
Qui enveloppe ton âme nue
Te pousse à vivre un peu plus loin
À aimer peut être pour rien
Je t’attendais comme loi nouvelle

La rue Gaston de Saporta

Un beau soir tu espères
Espères que je suis
On dira un repaire
Je sors mon parapluie
Je t’abrite joyeux
Heureux que tes vingt ans
Ne me trouvent pas vieux
Tant qu’il est encore temps

Et dans la rue Gaston
De Saporta moi je porte
Dans mes bras Margoton
Vise un peu cette escorte

Sauf que la rue Gaston
De Saporta en distance
Ça ne court pas très long
Ça a son importance
Quand la rue traversée
Se donna à la nuit
J’en parle au passé
Margot s’évanouit

Il y eut un chat Gaston
Que Margoton choyait
D’un décolleté profond
Elle fit un oreiller
Mais dans la rue Gaston
De Saporta aujourd’hui
Pas un chat l’horizon
Se fout des parapluies

Sous un ciel de cagnard
D’un bleu France Loisirs
Circulez rien à voir
Plus rien à découvrir

Pourtant la rue Gaston
Où Margot un jour tendre
De son cœur me fit don
Avant de le reprendre
Gardera certains soirs
Sur ses murs ses pavés
Un peu de cette histoire
En mon cœur conservé

Vous l’entendrez à peine
Si vous tendez l’ouïe
Pleurer comme une baleine
Cassée de mon parapluie

Mon stylo

Mon stylo jette l’encre sur des feuilles arides
Voyageur de l’intime des vallées du dedans
Ton profil de rapace a des airs de sentence

Mon stylo que m’importe si des jours dessinés
Par ton sexe j’n’en ai pas vécu plus d’un seul
Tu donnes de la gueule à mon existence

Tu regardes et tu juges de nos mots en bataille
Qui doit vivre et mourir que ta plume est légère
Mais ta pointe est cruelle
Mon stylo ton fourreau
Cache une arme de tendresse

Mon stylo mon pays mon exil volontaire
Les rives raturées de nos mers solitaires
Racontent bien des vies et la vie entière

Mon stylo cette sève qui coule en nos veines
N’est pas rouge mais bleue comme un ciel à midi
Un sang d’encre y égrène le meilleur de sa nuit

Tu fais les mots charnels et les âmes tactiles
Tu en fais voir l’essentiel la blessure et le style
Mon stylo mon drapeau ma danse du verbe

Mon stylo mon blason mon arche d’impatience
Tu es le sceau de mon nom et mon radeau d’errance
Tu es mon compagnon miel de mon silence

Mon stylo quand l’amour vient traîner ses guêtres
Du coté de ma vie ou qu’il me prend en traître
Tu sais bien au hasard que l’amour on ne peut
Et l’avoir et lettre

Tu incises au scapel tout le pus des ruptures
Tu renies tous les ciels
Tu nommes la blessure
Jusqu’à celle là qui est la vie même

Tu le sais mon stylo quand il faudra se taire
À moi les souvenirs et à moi la colère
Tu auras le dernier mot
Tu auras le dernier mot

Bonnet D bonne idée

Jadis je me croyais l’élu
De ton coeur mais quelle berlue
Bientôt changèrent tes projets
Et mon mandat fut abrogé
Le scrutin en ballotage
Tournait à mon désavantage
Au profit d’un jeune barbare
Avec qui tu vidais les bars

Tiens en parlant de ballotage
Comment se porte ton corsage
Continue-t-il obstinément
De déborder si joliment
Maintenant que tu t’en fiches
Que mon nom n’est plus à l’affiche
Qui s’occupe du monument
De ses juteux émoluments

Si je fus parfois dépité
Par tes avis précipités
Quelques-uns de tes propos
Eux ne manquaient pas d’ à-propos
Tu eus même de bonnes idées
Parmi lesquelles ton bonnet D
Irréfutable argument
Auquel je me rendais gaiement

Tu chantais faux mais peu importe
Voix de poitrine toujours porte
De Saint Quentin à Endoume
Nous chantions ad libidum
De sensuelles mélopées
Que je ne peux développer
Sans virer pornographique
Quoique autobiographique

Et si tu me traites de con
Je répondrais que ton balcon
Mérite bien quelques quatrains
Laisse-toi prendre par l’entrain
De ma chanson qui se souvient
Du temps où tu me disais viens
Sur mon balcon quand j’avais l’heur
D’en moi-même arroser les fleurs

La chanson du célibataire

Quand un célibataire
Aussi bas que terre
Vit dans la misère
D’un trop grand matelas
Pour peupler sa couche
Rien ne l’effarouche
Il remue ciel et terre
Et fouille son agenda

L’index part en chasse
Parmi les numéros
Les souvenirs grimacent
Qui est cette Caro ?

Mais le matin n’enlace
Que l’ombre du passé
L’agenda ne ressasse
Que des affaires classées

Quand un célibataire
Bien plus bas que terre
Ne sait plus que se taire
Que privé d’ébats
Il abat sa liasse
Chou blanc à la chasse
Loue le savoir-faire
De l’amour à l’achat

La nuit se déprave
Les corps s’enchevêtrent
On se croit le maître
On n’est que l’esclave

Mais le matin délave
La nuit déshabillée
Du billet doux ne reste
Alors que le billet

Quand un célibataire
Presqu’à toucher terre
Sort de sa tanière
Pour trouver écho
À sa fièvre ardente
Chez une charmante
Qu’il aborde en expert
Et lui dit tout de go

Ma chère quelle chance
Est la vôtre en ce jour
L’arbre de mon amour
Vous tend sa branche

Mais le matin recense
Les galants ajournés
Célibataire on l’est à
La force du poignet

Flora

Encore parfois sur le mur
Je vois cette photo
Elle doit se tromper c’est sûr
Ce n’est plus nous
Mais ça y ressemble
C’était l’hiver
Nous n’avions pas froid
Flora

Devant moi le salon
Où tout est à sa place
Tout est en place et pourtant
Je marche sur
Des glaces trop fines
Je marche comme
Au milieu des ruines
Des ruines

Et pendant ce temps
Y a le temps qui se marre
De nous voir solitaires
Puis viendra l’hiver
Qui me protègera ?
Flora

Autour d’une table basse
En chiffons des vêtements
On dirait presque la trace
D’un couple banalement
Mais la routine
Est un fléau
Rideau

Les meubles sont tranquilles
Ils font comme un musée
Un musée de l’inutile
Où l’on visite ce que l’on a manqué
Qui ne reviendra pas
A filé d’ici bas
Flora

Les meubles sont tranquilles
Ils font comme un musée
Un musée de l’inutile
Où l’on visite ce que l’on a manqué
Qui ne reviendra pas
A filé d’ici bas
Flora

Au coin la montre en retard
Quelques livres fermés
Des guides de voyage
Je hais les voyages
Car ils sont ton départ
Ils t’emmènent au lointain
Ils t’enlèvent à moi
Flora

Il paraît que la terre
Que tu veux parcourir
Est ronde alors peut être
Sauras-tu revenir
Revenir du lointain
Vers le nid de mes bras
Flora

Nos mots étaient des crimes

Nous étions enlisés
D’avoir joué la sombre
Comédie des vainqueurs
La convoyeuse d’ombres
Connaissait son heure
Et l’ordre utilitaire
Avait su mettre aux fers
L’infini essoufflé
Il fallait renommer
Les visages du monde

Nous avions parfois peur
Des étoiles violentes
Et des soleils hurleurs
Brûlant dans nos ventres
On sait bien qu’ils ne brillent
Que longtemps après coup
Le temps ne danse-t-il donc
Qu’à contretemps de nous
Mais l’avenir pointait
Dans nos quatrains à naître

Cependant qu’au pays
Des compagnes lointaines
Nous pondaient à l’envie
Des bâtards à la chaîne
Pour se tromper l’ennui
Nous on savait très bien
Qu’on ne saurait jamais
Si ça valait la peine
De tout abandonner
Mais nos cœurs étaient simples

Nous avions bien un dieu
Je vous prie de me croire,
Disait-il je n’estime
Que mes profanateurs
Nos mots étaient des crimes
Parricides monseigneur
Nos rimes orphelines
Et nos voix singulières
Justifiaient nos exils
Et puis nos vies entières

La petite histoire

Que n’ai-je été Macédonien
Et traversant le Granique
Mêlé le sang des Perses au mien
Dans un corps à corps héroïque
Si j’étais tombé à Issos
Je ne s’rais point tombé sur un os
Qui eût fait peur à Alexandre
Qui m’a laissé le coeur en cendres
Toi

Plus tard la morne Waterloo
M’aurait servi de champ d’honneur
Cambronne eût pu garder son mot
Pour ma part mort de bonne humeur
J’aurais eu pour dernière parole
Sans grossièreté ni gloriole
Un tonitruant « Vive l’Empereur »
Hélas voilà bien mon Blücher
Toi

Utah et Sword au mois de juin
M’auraient appris la rouge brasse
Sanglante nage du matin
Quand se noyaient de guerre lasse
Anglais GI’s et Canadiens
Frères défunts voyez ce bain
M’eût épargné peine plus lourde:
Boire la tasse d’une autre gourde
Toi

J’arpente souvent solitaire
Plaines vallons plages désolées
J’entends leurs plaintes sur la mer
Les soldats aux noms oubliés
Portent l’écume qui vient rendre
Toutes leurs larmes et pour toujours
Pleurent de n’avoir connu le tendre
Soleil de tes bras sans retour

Le garçon de café

Brûlantes sur la terrasse assaisonnées de plomb
Les glottes à marée basse crient déshydratation
À boire ou l’on trépasse il est seul il fait face
Et parfois le garçon se noie dans mon verre d’eau
Qu’il oublie au comptoir et repart à l’assaut
D’une armée de soiffards

Tasses et verres s’engloutissent en moins de temps qu’il ne faut
Pour qu’on les réemplisse et les vide à nouveau
Garçon de père en fils tu connais le supplice éternel du plateau
Si j’en crois ton allure ton style incisif
Depuis le temps que dure
Ton destin de Sisyphe

Ô patron méfie toi des ordres que tu donnes
On peut être garçon on n’en est pas moins homme
Un jour ils te rendront la monnaie de ta pièce
Et ton bar à la con le tailleront en pièces

Garçon de quoi écrire Aragon me soufflait
Qu’on laisse nos empreintes au fond de ton café
Quand je sentis l’étreinte de Van Gogh de Verlaine
Pour trinquer à ta gloire et à l’absinthe ancienne

Bouches en cœur jolies pestes piaillent jusqu’à plus soif
Et taillent une de ces vestes au vieux beau en carafe
Qui mate leur playtex finies les soirées sexe
Pour bientôt l’épitaphe : ici gisent les restes
D’un gonze qui un jour paf connut l’heure funeste
Mort de faim ou de soif

Ô patron méfie toi des ordres que tu donnes
On peut être garçon on n’en est pas moins homme
Un jour ils te rendront la monnaie de ta pièce
Et ton bar à la con le tailleront en pièces

La chance d’être orphelin

J’étais l’enfant taiseux
Qui battait en silence
Des cils le pavé bleu
Des cieux de sa naissance
Je voyais des navires
Entre les lignes claires
Des yeux de mon grand-père
Où j’apprenais à lire

J’étais l’enfant conteur
Qui s’inventait des vies
Sur des terrains joueurs
Et des vagues de bruits
J’accostais des récits
Je foulais mon ardoise
Je marchais dans mes phrases
Et jusqu’à aujourd’hui

J’étais l’enfant peuplé
D’une autre multitude
D’amis imaginés
D’heureuse solitude
Épargné par mon âge
J’ignorais tout du mal
Qui peignait sur la toile
Un ciel noir de veuvage

J’étais le petit frère
Qui se voulait unique
Tous les cadets sont fiers
De Gascogne ou d’ Attique
Je lançais bien mes billes
D’un œil qui examine
Les farces consanguines
Qu’on nomme les familles

Je fus l’enfant terrible
Comme l’est chaque enfant
Gonflé de possibles
Barbouillé par le vent
Ça me fouettait les mains
Pour me les faire ouvrir
Ça sifflait dans un rire
Ses airs de grand chemin

Tu crois que je me plains
J’écoute mon enfance
Me dire l’importance
La chance d’être orphelin

Rétrovisions

Que savais-je de toi plus ou mieux qu’un autre
J’avais un peu déjà l’avenir à genoux
Mais nos danses étaient neuves et révélèrent en nous
Le talent qu’il faut pour la mélodie de l’autre

Inventaire avant toi deux fois rien après tout
Et quoi depuis sinon des ajouts des répliques
Des poupées d’occasion aux gorges tyranniques
Qui plantaient leurs talons aux veines de mon cou
Jusqu’à mon coeur idiot qui tendait l’autre joue

Je ne t’ai jamais vue goûter à ces pratiques

Des cons ou des salauds souvent elles préfèrent
Les salauds c’est ainsi qu’elles s’épargnent l’affront
D’avoir le mauvais rôle et puis le rouge au front
Ça ruine le maquillage va falloir tout refaire

Et bien pardon Madame mais sauf votre Rimmel
Je préfère être un con loin des salauds à fleurs
Et loin de vos ciseaux cachés au fond du coeur
Comme j’en ai bien peur beaucoup trop d’entre elles
Quelques noms surnuagent dans mon amoureux ciel

J’habite un peu c’est vrai mes anciennes douleurs

Si l’amour a son temps la mort elle a son heure
Un jour l’enfant du soir glisse un peu et se noie
Dans un soleil éteint si l’ombre de ta voix
Voulait bien ce jour-là se coucher sur ma peur

Alors je pourrai dire adieu la compagnie
Je me fous de la mort j’ai porté mon enfance
Depuis les premiers cris jusqu’au jour de partance
Je rentre dans l’étoile pour baiser l’infini
Tes mots à mon endroit contrediront la nuit

J’irai vers le néant comme on part en vacances
Je prendrai le néant comme on prend des vacances

Et aussi…

Pochette de Mathieu Pirró

Mathieu Pirró

2002

  1. Ton silence est un vertige
  2. Sylvie danse
  3. Comment tuer sa mère
  4. Tu ris encore
  5. La serveuse
  6. Isabelle
  7. Du mal à grandir
  8. Bonjour l’ami
  9. Misogyne par protection
  10. Si j’étais Dieu
  11. Je ne supporte plus ma solitude
  12. Musicien

Y'a pas la mer en bas de chez moi

2004

  1. Histoire de voir un peu venir
  2. La nonne adultère
  3. La mort est blanche
  4. Immoralement je vous aime
  5. Les faux amis
  6. Ton ombre
  7. Les chanteurs engagés
  8. Mes voisins sont formidables
  9. L’amant peine l’âme en peine
  10. J’en pleure parfois j’en ris souvent
  11. Y’a pas la mer en bas de chez moi

La réussite

2009

  1. Cigarette (si j’arrête)
  2. Le tango aixois
  3. Belle comme la femme d’un autre
  4. La réussite
  5. D’où crois-tu que tu viennes ?

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